Dans les faits, le ministre de l'Intérieur continue de faire croire qu'il a le pouvoir de stopper les Tunisiens de Lampedusa aux frontières françaises (ce qui énerve l'Italie). Les associations dénoncent quant à elles une posture électorale.

« Subir une vague d'immigration »

Claude Guéant est arrivé à Milan le torse en avant. La veille, le ministre de l'Intérieur italien avait annoncé que Rome allait octroyer des permis de séjour temporaires dans l'espace Schengen aux 25 000 Tunisiens arrivés à Lampedusa.

 

Beaucoup de Tunisiens ont de la famille ou des connaissances en France. Rome leur « offrait » donc l'opportunité d'aller les rejoindre temporairement (pourquoi devrait-il seuls supporter le flux migratoire ? ).

 

La France n'a pas du tout apprécié, refusant de « subir une vague d'immigration ». Le ministre de l'Intérieur a envoyé le jour même une circulaire aux préfets pour rappeler les conditions très strictes de circulation dans l'espace Schengen – censées neutraliser le permis italien. Paris plus forte qu'un traité européen.

 

Le ministre de l'Intérieur italien s'en est offusqué :

 

« Les Tunisiens auxquels nous accorderons le permis de séjour auront le droit de circuler. La France ne peut pas l'empêcher, sauf en sortant de Schengen ou en suspendant le traité. »

 

Une position absurde

La position française apparaît absurde et contre-productive. Laure Navarro, avocate spécialiste du droit des étrangers, rappelle qu'il n'y a pas de contrôles systématiques aux frontières dans l'espace Schengen :

 

« Dans la pratique, c'est mission impossible d'imposer des conditions d'entrée aux Tunisiens, à moins de mettre en œuvre des moyens très importants. »

 

José Lagorce, intervenant juridique pour la Cimade au centre de rétention de Nîmes, explique que des centaines de Tunisiens sont déjà entrés en France sans difficulté.

 

Contrairement à ce que dit le gouvernement, ils ne sont pas tous raccompagnés à la frontière (une directive européenne datant de 2008 impose un délai de retour volontaire et permet leur libération).

 

L'intervenant de la Cimade :

 

« Si la France refuse de prendre en compte le permis de séjour, avec une adresse et un temps donné, les migrants entreront dans la clandestinité et se perdront dans la nature. »

 

Estrosi : « Ces gens ne rentreront pas en France »

Ce vendredi, Claude Guéant a persisté : « Il est clair que l'autorisation de séjour que les Italiens vont délivrer permet la libre circulation. » Avant d'ajouter : « Dans le respect des conditions définies par le traité. »

 

Le matin même, sur Europe 1, Christian Estrosi, affirmait qu'aucun Tunisien ne pénétrerait en France, grâce à la vigilance du ministre de l'Intérieur et sa circulaire envoyée aux préfets. Selon lui, « aucun » des migrants tunisiens « ne remplira les conditions […] ». Il les a détaillées :

 

l'autorisation de séjour ;

un document de voyage ;

des ressources suffisantes ;

ne pas constituer une menace à l'ordre publique ;

et ne pas être rentré en France depuis trois mois.

Le maire de Nice a décrété : « Ces gens ne rentreront pas en France. » (Voir la vidéo)

Capter l'électorat FN sur la question de l'immigration

Toujours ce vendredi matin, Christian Estrosi a demandé que « la France arrête de distribuer un certain nombre de prestations sociales d'un niveau supérieur à l'ensemble des autres Etats membres de l'UE » aux migrants. Et de repartir sur les conditions d'octroi de la CMU, de l'AME…

 

Le ministre italien de l'Intérieur a été l'un des premiers à interpréter la position française sur les Tunisiens de Lampedusa, jeudi soir lors de l'émission télévisée « Porta a Porta » :

 

« Je comprends qu'il y a des élections en France en 2012 et que Sarkozy subit la concurrence de l'extrême droite, mais mettre des troupes aux frontières est la plus grosse erreur. »

 

Pierre Henry, directeur général de France terre d'asile, se met en colère :

 

« La France est dans la surenchère nationale, elle veut faire croire à une partie de l'opinion qu'elle agit. »

 

Le militant rappelle que pendant la guerre des Balkans, l'Europe avait su faire face à un flux migratoire plus important :

 

« Qu'est ce qu'il s'est passé pour que 20 000 personnes provoquent une telle crise ? »